Critique du Retour de Mary Poppins : cinquante-quatre ans plus tard et la magie fonctionne encore !

  • Réalisé par : Rob Marshall

  • Bande Originale : Mark Shaiman et Scott Wittman

  • Durée : 2h10 min

  • Sortie en France le : 19 décembre 2018

En 1964 sort Mary Poppins, véritable triomphe et pierre angulaire de l’histoire du cinéma. Il sacre définitivement Walt Disney comme le plus grand conteur de son époque en récoltant pas moins de treize Oscars. Fait encore plus notable : en étant accueilli comme aucun autre film auparavant, il concilie enfin les critiques professionnelles (dont beaucoup boudaient les productions de Disney) et le grand public qui se rue en masse dans les salles pour découvrir la fantaisie ultime de l’Oncle Walt.

Retour en 2018 : cinquante-quatre années se sont écoulées et la Walt Disney Company décide de sortir la suite des aventures de notre nounou préférée ; un pari  risqué qui ne pouvait se permettre le moindre faux pas pour succéder à cette pièce maîtresse du cinéma. Rob Marshall (Into the Woods : Promenons-nous dans les Bois, Pirates des Caraïbes : La Fontaine de Jouvence) se jette à l’eau et nous livre… un véritable chef-d’œuvre qui complète sans difficulté l’opus original ! Qui l’aurait cru ?

Un film frais et dépaysant mais, surtout, qui fait du bien !

Le récit se passe dans les années 30, vingt-quatre ans après Mary Poppins de Robert Stevenson. Le monde occidental est plongé en plein marasme, empêtré dans la Grande Dépression et Londres en subit les revers de plein fouet. Nous retrouvons Michael Banks, père de trois enfants (Annabel, Georgie et John) qui travaille à présent dans la banque où œuvrait déjà son père George Banks. La famille risque la perte de leur maison familiale située au 17 Allée des Cerisiers. Mary Poppins décide alors de leur venir en aide avec la complicité du joyeux Jack, un allumeur de réverbère.

Dès les premières secondes du film, on est frappé par son ton désuet qui reprend les codes établis par l’opus original sorti en 1964 : narration, jeux d’acteurs, couleurs, composition des plans, chorégraphies, sonorité musicale… Le Retour de Mary Poppins ne réinvente pas le style inimitable de son grand frère mais le reproduit méticuleusement en y apportant de nouvelles variations. En marge de l’ensemble des blockbusters et à contre-courant de la production cinématographique, un charme old-school au demeurant extrêmement attachant se dégage de cet opus. Pour Rob Marshall, réaliser la suite de l’un de ses films préférés est un rêve qu’il avait toujours voulu concrétiser, si bien qu’il se consacre corps et âme à ce projet un peu insensé. Car il en fallait du courage et du cran pour proposer une suite au film multi-oscarisé de 1964 !
Cette fois, la critique du monde de la finance et le pamphlet féministe se font plus timides et le film aborde des thèmes plus intimistes : le deuil, les difficultés financières, l’éducation monoparentale et l’acceptation de soi. Plus généralement, on y parle également de la transmission générationnelle, autant du point de vue de la famille Banks que du cinéma lui-même (en particulier de l’héritage de Walt Disney). En véritable suite, on retrouve d’anciens personnages (ceux absents ont tous une bonne raison pour manquer à l’appel) et des nouveaux qui s’intègrent parfaitement à l’univers de Mary Poppins.

Il semblait impossible et succéder à Julie Andrews dans le rôle titre, et pourtant ! Emily Blunt est magistrale en Mary Poppins. Elle incarne le personnage avec la même justesse que sa prédécesseur, à la fois douce et autoritaire. Elle ne singe pas le personnage mais en propose une nouvelle incarnation tout aussi juste, un peu plus proche de celui présenté dans les livres originaux de P. L. Travers. Plus malicieuse que Julie Andrews, le rôle lui va parfaitement et elle devient Mary Poppins en quelques secondes avec une facilité déconcertante. Il suffit de la voir apparaître pour que la relève fasse mouche. C’est un véritable tour de force tant il semblait impossible de succéder à Julie Andrews !

Ben Whishaw (Paddington, Spectre, Skyfall…) est quant à lui Michael Banks. Au début du film, il vient de perdre sa femme et doit faire face à de nombreuses difficultés financières tout en assurant l’éducation de ses enfants. C’est probablement le personnage le plus touchant du film, tant son humanité (et ses failles) nous touche directement. Enfant plein de joie dans le premier opus, il finit par crouler sous le poids des responsabilités et à perdre pied. C’est lui à qui Mary Poppins viendra principalement en aide. Impossible non plus de ne pas faire un parallèle avec l’histoire de son propre père dans le film de 1964. Ben Whishaw est parfait et particulièrement émouvant, si bien qu’il est impossible de ne pas ressentir de l’affection pour lui et son histoire personnelle.

Jane Banks, devenue une militante syndicale, est de retour incarnée par Emily Mortimer (Lovely & Amazing, Match Point, Shutter Island…).Elle marche dans les traces de sa mère Winifred Banks qui était membre des suffragettes. On reconnaît immédiatement le personnage : mêmes mimiques, même visage et façon de parler… dommage qu’elle soit un peu effacée, même si c’est un plaisir immense de la retrouver et de la revoir après toutes ces années.

Attardons-nous maintenant sur un autre coup de cœur du film : Jack, le fallotier. On connaissait déjà le charisme de Lin-Manuel Miranda (la comédie musicale Hamilton, Vaiana) mais on monte à nouveau d’un cran et son rôle dans Le Retour de Mary Poppins lui va comme un gant. Cet artiste multi-récompensé pétille de bonne humeur et de joie. S’il incarne un allumeur de réverbère, c’est tout simplement parce qu’il est brillant et qu’il illumine le film de son bonheur. Son sourire donne immédiatement la pêche. On aurait voulu le voir davantage tant il est attachant. Autre fait exceptionnel : son alchimie avec Mary Poppins fait immédiatement mouche ! Ce nouveau personnage reprend quelques traits du célèbre Bert de l’opus original ; Jack était son disciple pendant son enfance. La boucle est en quelque sorte bouclée.

Le long métrage propose de nombreux autres personnages, que nous vous laisserons découvrir : on retrouve l’Amiral Boom, la nouvelle venue et cousine Topsy (Meryl Streep), la Dame aux Ballons (Angela Lansbury, qui était d’ailleurs pressentie pour le rôle de Mary Poppins en 1964 !), le perfide William Weatherall Wilkins (Colin Firth)… et surtout, le retour sous forme de caméo (mais d’une importance capitale) de Dick Van Dyke. Je souhaiterais tellement vous parler de cette séquence, mais je vais m’abstenir pour ne pas gâcher la surprise. Son apparition est d’un symbolisme fort et permet de faire le pont entre l’époque de Walt et la nôtre, comme s’il nous confiait à présent son héritage pour nous faire garant de l’esprit de Walt.

Scénaristiquement, c’est très réussi avec son histoire neuve mais pas tellement, sous forme de variation de l’opus original et de nouvelle exploration ; ses personnages attachants ; et surtout, sa musique et ses chansons, toutes originales et sans aucune reprise.

Des séquences musicales époustouflantes, la comédie musicale ultime !

Autre élément très risqué et attendu au tournant par tous les fans du film original : les chansons. Succéder aux frères Sherman n’était pas une mince affaire et semblait être un pari impossible à relever. Alors, défi relevé ?

Oui, parce que les chansons sont entraînantes et ont été écrites dans le plus pur style de Mary Poppins : tour à tour joyeuses, rythmées, touchantes et même un peu effrontées, elles sont un plaisir à écouter et à suivre. Les chorégraphies sont également toutes impeccables et ambitieuses, on sent la maîtrise de Rob Marshall qui est un vétéran du genre. Il aurait été facile de piquer quelques titres de l’original pour les réutiliser dans la suite (et cela aurait fonctionné), mais Mark Sheiman ne cède pas à la paresse et ne propose que de nouveaux morceaux. Quelques notes, judicieusement placées, font le pont avec le film de 1964 mais, loin d’être un effet cosmétique, elles restent très discrètes et jouent avec la corde sensible.
Avec cinquante-quatre ans entre les deux bandes originales, bien évidemment que l’originale reste une légende totalement intouchable. Dès lors, il est très difficile d’effectuer une comparaison entre les deux, mais certaines chansons restent en tête après le visionnage, en particulier Trip a Little Light Fantastic (une des chorégraphies les plus mémorables toutes comédies musicales confondues) en français Luminomagifantastique (notez la traduction française très discutable qui a voulu ajouter un hommage à Supercalifragilisticexpialidocious qui n’existe pas dans la version originale) et A Cover is Not the Book (Méfiez-vous des Apparences en VF). The Place Where Lost Things Go (Où Vont les Choses) est quant à elle très touchante.

Les numéros musicaux sont parfaitement intégrés dans Le Retour de Mary Poppins et viennent ponctuer les scènes fantaisistes du film, puisant là aussi leur inspiration dans le film de Stevenson. Toutes les techniques modernes du cinéma sont employées pour donner vie à cette fable d’un autre temps. Si la technologie numérique moderne permet de narrer les aventures aquatiques de Mary Poppins et des enfants Banks, quel plaisir de voir Disney proposer de l’animation en 2D !
Ce fut bien évidemment un challenge pour Rob Marshall qui n’avait jamais réalisé de séquence similaire. Alors que Disney souhaitait miser sur le tout numérique, il s’est battu pour convaincre le studio de la nécessité d’inclure de l’animation traditionnelle. Le réalisateur s’est ainsi entouré de vétérans, dont certains étaient à la retraite, pour succéder aux trois Nine Old Men (Milt Kahl, Ollie Johnston et Frank Thomas) qui avaient travaillé sur Mary Poppins. La production de la séquence de Royal Doulton Music Hall a été sous-traitée à Duncan Studio (fondé par un ancien animateur de Disney) tandis que de grands noms de l’animation se sont associés au projet : James Baxter (Qui Veut la Peau de Roger Rabbit, La Petite Sirène, La Belle et la Bête), Tony Bancroft (Aladdin, Le Roi Lion, Le Bossu de Notre Dame), Eric Goldberg (Pocahontas, La Princesse et la Grenouille, Winnie l’Ourson), Mark Henn (Le Noël de Mickey, Mulan, Lilo & Stitch, Il Etait une Fois)… Pièce maîtresse du film, cette séquence a demandé dix-huit mois de travail et une synergie de nombreux départements, que l’on ne trouve plus que très rarement dans le cinéma moderne. Le résultat : une séquence mémorable et d’ores et déjà mythique.

En définitive, Le Retour de Mary Poppins est un film désuet mais résolument moderne, témoin de cinquante-quatre ans d’animation et de cinéma. Sous forme d’hommage, il dresse une passerelle entre 1954 et 2018. D’une symbolique forte, Dick Van Dyke nous transmet le relais et nous remet les clefs de l’héritage de Walt Disney. A nous, maintenant, de composer avec son cadeau et d’écrire notre futur, à l’image de la sublime séquence finale du film et des paroles de la chanson Nowhere to Go but Up (And we’ll all hit the heights / If we never look down / Let the past take a bow / The forever is now /And there’s nowhere to go but up, up). Si beaucoup considérait Mary Poppins comme le film testament (et le plus abouti) de Walt, Le Retour de Mary Poppins ouvre la porte de l’éternité à son héritage et nous prouve que son souvenir vit encore en nous.

Alors, on recommande Le Retour de Mary Poppins ?

Aussi fou que cela puisse paraître, Le Retour de Mary Poppins est un chef-d’œuvre ! Assurément une des œuvres les plus marquantes de 2018 qui complète l’original cinquante-quatre ans après. C’est un film insensé, d’un autre temps, qui ne subit pas les codes des blockbusters modernes pour proposer une bouffée d’air frais ; un vrai morceau de sucre qui aide la médecine à couler et qui réchauffe les cœurs. Le Retour de Mary Poppins est une œuvre hommage à l’héritage de Walt mais aussi la preuve que le divertissement noble et pur reste intemporel.

[yasr_overall_rating]

On a aimé

  • Les chorégraphies et les chansons

  • La superbe séquence en animation traditionnelle

  • Un casting parfait, qui n’est pas dans l’ombre du film original

  • La présence de Dick Van Dyke donne un tout autre sens au film, qui devient un pont entre notre génération et celle de Walt Disney

  • La séquence des ballons avec Angela Lansbury

On n’a pas aimé

  • Que ça se finisse