Star Wars : Les Derniers Jedi, entre l’ombre et la lumière

  • Réalisé par : Rian Johnson

  • Bande Originale : John Williams

  • Durée : 2h32 min

  • Sortie en France : 13 décembre 2017

2 ans après l’Episode VII, premier pas de Star Wars dans le giron de Disney, sort un nouvel épisode de la saga galactique mythique. Dire qu’il est attendu est un euphémisme. Depuis Le Réveil de la Force, les fans sont en émoi et chacun va de son interprétation et de sa théorie. Face à ce vacarme et ses débats, le studio Lucasfilm savait pertinemment qu’il devrait proposer quelque chose de neuf, de différent, quitte à dérouter quelques fidèles au passage. C’est exactement ce qu’il va se passer, et à la tournure des événements du film, il est certain qu’il va diviser.

C’est un peu la même rengaine à chaque épisode. Un colosse de cette trempe ne peut pas être abordé comme les autres films tant la relation que nous avons avec la franchise est profonde. Elle traverse littéralement les décennies, transcende les générations. Les fans y sont totalement dédiés et se sont approprié cet univers comme nul autre film ne l’avait fait. Dès lors, aborder une critique de Star Wars n’est pas chose aisée. Il faut garder la tête froide pour ne pas laisser ses passions assombrir un jugement trop hâtif. C’est d’autant plus important que Les Derniers Jedi est un épisode déroutant, qui prend une direction inattendue.

On prend les mêmes et…

Star Wars VIII commence à peu près là ou s’est arrêté l’épisode précédent. Rian Johnson et Mark Hamill nous avaient prévenus et avertis en nous signalant très vite que les spectateurs risquaient de sortir déroutés. Disons-le d’emblée, ils avaient raison. Après deux années de spéculations, certaines réponses sont apportées mais pas tout à fait, ni comme nous l’espérions, ni comme nous les imaginions.

Avec Les Derniers Jedi, les pièces de cet immense échiquier se mettent à se déplacer sur une toile plus grande et qui les dépasse même parfois. Le charisme et le charme de Rey (Daisy Ridley, exceptionnelle) opèrent toujours. Le spectateur ressent sa déroute initiale, sa montée en puissance et sa détermination à chaque instant. Avec plus de nuances que les incarnations des héros passés, elle porte la voûte de la nouvelle trilogie sur ses épaules avec une simplicité déconcertante. Elle confirme sa place centrale dans la saga sans grande difficulté.

Kylo Ren, ou Ben Solo, plus ambigu et déchiré que jamais, devrait convaincre ceux qui ne voyait en lui qu’un frêle antagoniste dans l’opus précédent. Toujours torturé, il met en emphase le propos du film. La force du personnage réside sur ses faiblesses, antithèse parfaite de l’image de l’Empereur Palpatine et de Vador lui-même. Adam Driver incarne le personnage et le maîtrise sur le bout des doigts, à nouveau avec subtilité.

Si Le Réveil de la Force était assurément le film de Han Solo, Les Derniers Jedi est celui de Luke Skywalker. Le personnage fait enfin son grand retour, avec un Mark Hamill magistral.
La princesse Leia (notre regrettée Carrie Fischer) dispose d’un rôle pivot également. Elle est le fil conducteur qui relie les personnages entre eux, comme le relais entre l’ancienne génération et la nouvelle génération de personnages.

Malgré cette fresque quasi-infinie, dans Les Derniers Jedis, ce sont en réalité ces 4 personnages qui vont réellement se détacher du lot. Le film revêt des allures de huit-clos, parfois même angoissant, avec une lumière sombre et rouge qui vient régulièrement appuyer le propos (nous y revenons dans le paragraphe suivant).

Finn et Poe gagnent de l’importance dans ce volet également, bien que leurs rôles ne servent pas fondamentalement le message profond du film. Ils sont parfois l’objet de digression dans le scénario global, mais ils permettent en fin de compte de laisser respirer les autres personnages.

Le contexte posé, le film navigue entre le Côté Obscur et celui de la Lumière, sans réellement prendre de décision finale et laissant le spectateur décider de sauter ou non, dans l’un des deux camps.

Star Wars est mort, vive Star Wars !

En fin de compte, Les Derniers Jedi est plutôt chiche en grande révélation et c’est principalement là sa plus grande faiblesse. Il n’a que faire de toutes les théories et des débats qui ont eu lieu depuis 2015. Le film n’en fait qu’à sa tête et ne donne pas ce que spectateur attendait réellement. Certains prendront cela pour une provocation car Rian Johnson n’a pas hésité à prendre sa propre voie, quitte à réécrire ou interpréter (vous choisirez ce que vous préférez) des pans entiers de la mythologie Star Wars.

A la sortie de la salle, je n’avais aucune idée si oui ou non le film m’avait plu. Pour tout vous dire, je n’étais ni tout à fait enthousiaste, ni tout à fait déçu, mais j’étais incapable d’exprimer clairement mon ressenti. De tous, c’est le volet le moins immédiat, celui qui nécessite de se pencher dessus pour le comprendre et l’apprivoiser. Coincé quelque part entre un épisode VII et IX, il redistribue en réalité les cartes de toute la saga et met à mal certaines idées. Il nous fait sortir de notre zone de confort et veut nous entraîner avec lui dans un précipice profond. Mais il ne nous pousse jamais. Il nous laisse contempler le gouffre, mais ne nous fait pas tomber. Les Derniers Jedi met en pratique le concept parfait à l’origine de la Force : celui de l’équilibre. En jouant avec nos émotions, en nous poussant en tant que fans dans nos derniers retranchements, il explose le mythe pour le réécrire. Pour la première fois dans un film Star Wars, les lignes deviennent floues et s’entremêlent. Il n’y a ni bien ni mal. Il n’y a que des Femmes et des Hommes qui se retrouvent pris dans des engrenages qu’eux-mêmes ne comprennent pas. Tour à tour, le film détruit et reconstruit la mythologie Star Wars. Il parle d’espoir et de désespoir, au grand dam de la légende qu’il tiraille, qu’il fait imploser d’elle-même pour mieux la faire renaître.

Des qualités artistiques indéniables

A travers cette aventure presque intérieure, la caméra virevolte. Rian Johnson, en tant que maestro de ce gigantesque opéra, donne le tempo. Tour à tour classique puis inventif, le film mélange habilement les styles. L’humour, jamais lourd, est toujours présent. Encore une fois, il a réussi à équilibrer les passages les plus profonds avec ceux plus légers, pour apporter des moments d’évasion bienvenus. Sans vraiment trop se prendre au sérieux, il mélange les tonalités et donne de la consistance à un propos parfois déstructuré. L’iconographie appuie ses ambitions : tantôt sombres et rouges, les décors deviennent plus contrastés et plus lumineux. La palette graphique est irréprochable ; le bestiaire fera réagir même les cœurs les plus endurcis. Sous un propos difficile à cerner, les inventions graphiques sont incontestablement réussies.

Crait à elle seule est une trouvaille formidable. Sous sa lumière naturelle blanche et claire à cause des dépôts salins de la planète, se cache en réalité un sol rouge sang. Vierge et immaculée, la caméra se pose sans intervenir et sans laisser de trace de son passage. Star Wars VIII devient alors son propre mythe, sa propre leçon de Jedi au spectateur parfois perplexe et ahuri : il n’y a pas d’émotion, il y a la paix. Il n’y pas de passion, il y a la sérénité. Il n’y a pas de chaos, il y a l’harmonie. Il n’y a pas la mort, il y a la Force.

Alors, on recommande Star Wars : Les Derniers Jedi ?

Déconcertant. C’est le mot qui m’est venu en tête immédiatement après la première vision. Il ne répond pas à toutes les questions, il ferme des portes que l’on espérait pouvoir suivre plus en profondeur mais il en ouvre d’autres sur son sillage. Le film détruit ce qu’il entreprend puis il le reconstruit plus loin. Jamais les concepts de la Force n’avaient été aussi bien illustrés. Il frustre et joue avec nos émotions en les mettant à mal. Et de cette déconstruction, de ce tumulte, il prend alors peu à peu forme et s’impose comme l’épisode le plus pertinent et osé de toute la saga… même si certains se perdront en route.

On a aimé

  • La patte artistique unique, inventive et flamboyante

  • L’ensemble des personnages principaux, subtils, maîtrisés et parfaitement interprétés

  • Une direction surprenante, inattendue et pertinente

On n’a pas aimé

  • Le film est difficile à apprivoiser, on peut même totalement passer à côté

  • Des pans entiers du scénario qui sont volontairement écartés, que l’on aurait aimé suivre plus en profondeur

  • La musique de John Williams (et c’est un crève-cœur de l’écrire), qui ne fait que reprendre ce qui avait été déjà fait dans la saga

  • Le rythme décousu